(Reportage réalisé par Adrienne Ehouman)
Abidjan, 20 fév 2023 (AIP)- De plus en plus, des commerces fleurissent autours des églises et mosquées. A qui profitent ces commerces et quelle est la portée spirituelle des objets vendus ? L’AIP fait une incursion dans ce milieu afin de découvrir cet affairement aux alentours des lieux de prières.
Touré Siaka intervient dans l’organisation de la mosquée Salam, la grande mosquée du Plateau, le centre des affaires d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Depuis, l’an 2000, il est engagé dans la vente de documents islamiques et divers objets religieux.
D’une quarantaine d’années, ce commerçant, chapelet à la main, récitant des ziks (prières), attend patiemment sa clientèle près de la mosquée du Plateau. Dans son étalage, figurent des guides de prières, le coran, des chapelets, boubous, sandales, chapeaux, tapis de prière de poche, autocollants et posters pour les maisons et les voitures, zikromètres (chapelets électroniques), savons, encens, parfums.
“En plus de nos actions dans l’organisation de la mosquée, notre commerce nous permet également de subvenir aux besoins de la famille. Le vendredi, il y a de l’affluence, mais de manière générale, le marché est lent“, affirme M. Touré. Le mois de carême, mois sacré pour les musulmans, le commerce est florissant mais en dehors de cette période, les produits s’écoulent lentement. “Cependant, nous demeurons dans cette activité, parce que c’est le métier qu’on a choisi de faire”, ajoute-il.
“Nos clients sont de toutes croyances”, poursuit-il. “Les musulmans achètent nos produits pour édifier leur foi et les non-musulmans, pour offrir des présents à leurs connaissances musulmanes. Par contre, il y a une frange de non-musulmans qui connait la portée de ce que nous vendons et qui vient s’en procurer pour un usage personnel”, précise le commerçant.
Ces produits sont, entre autres, des savons de protection présentés dans un emballage industriel, vendus à 1000 FCFA dont le savon “Ayatan-Alkursi” (marqué du verset du Trône révélé au Prophète Mahomet (SWA) qui sert à la protection contre les génies, les sorciers, les mauvais sorts), le savon “Koufayakou” (qui signifie en arable quand Dieu dit une chose, Il l’exhausse immédiatement).
L’on observe sur son étalage, plusieurs parfums., “Bintou Souda” coûte 1500 FCFA, “Aruna”, 1000 FCFA, est utilisé contre les sorts, quand “Allah Mohamed”, 15 000 F CFA également, attire la chance à soi. En dehors des savons et parfums, le client peut s’offrir des graines (3000 FCFA), de la poudre (3000 FCFA) et de l’huile (5000 FCFA) faits à base d'”Habar-Sadda”, un produit en provenance de l’Arabie Saoudite, à consommer dans le thé, le café ou de l’eau tiède.
Habar-Sadda est un arbre qui soigne toutes sortes de maladies, sauf celles qui selon le dessein de Dieu, doivent conduire l’homme à la mort, révèle M. Touré, qui se dit satisfait de son activité, qui lui permet de répondre aux besoins des individus.
Un autre commerçant d’objets islamiques, Diomandé Mamadou, est actif dans ce domaine depuis 1996. Il est également installé aux alentours de la mosquée Salam. L’objectif pour lui, en vendant ces objets de piété, fabriqués en Côte d’Ivoire et en Inde, est d’assurer sa pitance quotidienne et de promouvoir l’Islam.
“Il faut s’armer de courage pour faire ce travail. Ce n’est pas toujours qu’on y gagne de l’argent. Fort heureusement que je reçois de l’aide des parents pour subvenir aux besoins de ma famille“, a déclaré Diomandé Mamadou.
Entre autres ouvrages vendus par le sexagénaire, des tapis de prière dont les prix varient entre 4000 et 8000 FCFA, des encens pour chasser les mauvais esprits et apporter une bonne senteur à la maison.
Le vieux commerçant d’un air serein, encourage tous ses clients à faire un bon usage des produits de piété. Car, dit-il, “tous ces objets servent à adorer Allah, il ne faut pas s’en détourner”. “Tout musulman doit connaître sa religion, connaître le coran. La prière ne peut pas être valable sans l’utilisation du coran“, précise-t-il.
Aucune taxe n’est collectée par la mosquée, rassurent ces commerçants.
Tout comme dans l’univers des mosquées, le même phénomène se vit aux abords des autres édifices religieux. L’on y découvre des produits aux fonctions identiques, mais dans des emballages différents.
A l’externat Saint Paul du Plateau, un espace a été affecté à la vente des pagnes catholiques et des objets de piété, dont des chapelets, crucifix, bougies, encens, encensoirs, livres de prières et tableaux.
Un peu en retard, Mireille Shawa, une pèlerine qui s’empressait d’entrer dans la chapelle pour la messe de midi, révèle que les pagnes catholiques contribuent à l’édification de la foi. L’église recommande d’acheter ces pagnes, dans le cadre de la célébration des sacrements tels que le mariage, le baptême et d’autres grands évènements. Ces pagnes se vendent à 5000 FCFA l’unité, un prix homologué sur toute l’étendue du territoire. La vente est du ressort de l’église elle-même.
Dans la cour de la cathédrale Saint André de Yopougon, plus grande commune d’Abidjan, à peine franchi le portail, sous l’angle gauche de l’entrée, se trouve une boutique de vente d’objets de piété, avec une organisation ordonnée, sous le contrôle du clergé.
La paroisse est cernée par un vaste marché achalandé de produits de tous genres. Vêtements, chaussures, accessoires de beauté, accessoires culinaires, marché de vivre, marché d’objets de piété.
Péhuké Prince fait partie des occupants des alentours de Saint André, Il y vend, depuis 2012, des objets de piété, du sel, des encens, des huiles, des essences de parfums, des bougies et autres denrées qui pour la plupart sont importées des pays anglophones et espagnols, rapporte-t-il.
Son exposition très bien pourvue, comporte différents types d’encens importés vendus à 1 000 FCFA, dans des emballages imprimés d’images, expression de spiritualité. Il propose par exemple l’encens “Saint Michael” (le général de l’armée céleste qui combat pour nous), “Back to sender” (retour à l’envoyeur utilisé contre les sorts, les jalousies), “Benzoine” pour délier les liens ancestraux à brûler dans les bureaux, dans une nouvelle maison, ou encore “Call dollar” pour attirer l’argent.
“En 2008, j’ai vendu le parfum de Mandragore, utile pour la fécondité à 10 000 FCFA, aujourd’hui, on n’en trouve plus“, a déploré Prince Péhuké.
Sur une table chargée de denrées de spiritualité, se trouvent des sticks d’encens vendus à 500 FCFA l’unité et dénommés “Encens de Bondoukou”, ville au nord-est de la Côte d’Ivoire. Réputé pour ses vertus spirituelles et thérapeutiques, cet encens qui provient d’une révélation d’un prêtre catholique, est utilisé en fumigation contre les œuvres de la sorcellerie, pour les désenvoutements, les exorcismes, la destruction des ondes négatives, et pour les soins de la fontanelle, du rhumatisme, de l’hémorroïde, explique le commerçant passionné de son activité.
Autres produits observés, d’une part, le sel marin pour le bain et l’aspersion à domicile, en vue de dégager les énergies négatives, le sel hysope, le sel d’exorcisme Saint Michael, le sel d’exorcisme dit Retour à l’envoyeur, le sel exorcisme Saint Benoit, et d’autre part, les huiles spirituelles, notamment, huile d’hysope, huile Saint Michael, l’huile de désenvoutement au sel utilisé pour l’exorcisme et la délivrance.
Des savons de toute sorte, dont les savons Saint Michael, Saint Benoît, Retour à l’envoyeur, de même que des bougies multicolores, font parties de son étalage, précisément la bougie de Saint Michael, de couleur rouge, la bougie mariale, bleue, les bougies vertes utilisées pour les prières afin d’avoir de l’argent et des bougies noires pour les prières de désenvoutement.
“L’église recommande la bougie blanche, qui est utilisée pour les baptêmes, conçoit-il. Ce qui est venu après, provient des enseignements dispensés essentiellement par les radios qui diffusent des émissions sur les mystères de la vie “, affirme le vendeur qui précise qu’elles sont fabriquées localement.
Toutefois, les produits énumérés ne sont pas exhaustifs. M. Péhuké précise que ces denrées sont utilisées dans les milieux chrétiens et tous autres.
“Nous sommes en harmonie avec la communauté catholique de Saint André. Nous n’avons jamais reçu de menace ou d’interdiction de vente. Nos produits sont de sources chrétiennes, l’hysope, la mandragore, le romarin, pour ne citer que ceux-ci, sont référencés dans le livre de la Genèse, de l’Exode, dans la Bible. Auparavant, nous n’avions pas ces produits ici. S’ils sont rentrés en Côte d’Ivoire, c’est parce qu’ils font du bien“, soutient le commerçant.
L’objectif de cette activité est de résoudre les problèmes des individus en difficulté, qu’ils soient chrétiens ou pas, fait-il savoir. “Nos produits font leurs preuves. Les témoignages coulent, et les gens viennent s’en procurer parce qu’ils y trouvent satisfaction. Nous avons des retours positifs, et nous avons des commandes depuis l’extérieur”, argue-t-il.
M. Péhuké, confiant, révèle que le commerce nourrit son homme. “Franchement, il nourrit son homme, tant qu’il est organisé. En un temps record, tu peux t’en sortir avec… Prince reste silencieux sur son revenu quotidien. Avec ces moyens, j’arrive à payer mon loyer, prendre soin de ma famille et scolariser mes deux enfants,”, soutient le commerçant avec assurance.
Les guides religieux se prononcent sur la question
Pour le premier responsable de la mosquée Salam du Plateau, l’Imam Cissé Djiguiba, ce commerce n’est pas interdit dans l’islam.
“Le commerce des objets de piété tels que les tapis de prières, les chapelets, les livres, répond aux besoins des fidèles. Donc ceux qui s’adonnent à ce commerce gagnent leur pain et répondent également aux besoins des fidèles qui fréquentent la mosquée”, affirme l’imam.
Il soutient qu’il n’y a donc pas d’inadéquation entre ce commerce et l’islam. Il n’est pas non plus envahissant. L’installation de ces commerçants aux alentours de la mosquée est organisée de telle sorte qu’ils ne gênent pas la prière.
L’imam Djiguiba rassure que le commerce des produits tels que l’encens, les savons, les parfums, les huiles ne sont pas défendus. “Le Habar-Sadda, contient des éléments qui ont des propriétés curatives et mystiques qui permettent de chasser les génies. Ces produits contribuent à la foi des croyants. Ils ne sont pas prohibés au niveau de l’islam”, confirme-t-il.
Toutefois, “tout ce qui est éléments de voyances, de maraboutage, est interdit aux alentours de la mosquée”, précise -t-il.
Selon lui, la Rokia est une science qui consiste à la délivrance de ceux qui sont sous l’emprise des génies. Ceux qui la pratiquent, utilisent ces produits (savons, huiles, encens, parfums spécifiques), pour aider à désenvouter les musulmans et non musulmans. Cependant, elle n’est pas pratiquée dans la mosquée.
“C’est une réalité que ces produits ont des propriétés pour chasser les génies. Il y a des génies qui sont musulmans, chrétiens, ou mécréants. Ces produits font leur preuve. Les encens donnent aussi une bonne odeur. Seulement, nous demandons à ceux qui s’adonnent à ce commerce de craindre Dieu. L’acheteur aussi doit être sûr de ce qu’il achète. Tous sont responsables devant Dieu”, poursuit-il.
Le guide spirituel indique en outre que les commerçants aux alentours de la mosquée Salam ne paient pas les taxes pour leurs commerces, ni à la mosquée ni à la mairie. “La mosquée est un lieu saint. La mosquée Salam a une organisation propre. Elle a des magasins mis en location qui permettent de contribuer aux charges de la communauté, dont la paye de l’imam consacré uniquement au service divin. C’est un fait usuel dans la religion musulmane et qui se pratique même à la Mecque”, précise l’Imam Cissé.
Le père Amouzame Bernard, diacre, étudiant au grand séminaire Saint cœur de Marie d’Anyama, s’insurge contre les commerces dans les églises, partant du fait que dans l’évangile de Matthieu, le Seigneur Jésus a chassé les commerçants du temple. Pour lui, ce fait donne de comprendre que la maison de Dieu est une maison de prière et non de commerce.
“Vendre à l’intérieur de l’église, c’est comme si l’on ne respecte plus la maison du Seigneur. On en fait une maison de commerce. Et ça, je dis non. On ne peut pas donner une allure mercantile à l’intérieur de la maison du Seigneur. L’intérieur de la maison du Seigneur est fait pour servir de cadre de prière, de disposition intérieure, de silence, cadre qui nous plonge dans l’intimité avec le Seigneur “, conçoit l’abbé Amouzame.
“A l’extérieur de l’église, on peut comprendre la présence des commerces, dans la mesure où les autorités ecclésiales, paroissiales prennent des mesures pour construire des magasins à l’exemple du sanctuaire. On y voit une organisation ordonnée qui permet aux fidèles de se procurer des livres, chapelets, tout élément leurs permettant de vaquer à leur prière”, formule le diacre.
Pour lui, ces magasins loués par des commerçants contribuent à l’autonomie financière de la paroisse, donc de l’église. “Cette action permet également au clergé d’avoir un œil protecteur, surveillant, contrôleur des produits vendus dans ces magasins et d’éviter ainsi d’éventuelles déviations graves”, explique-t-il.
Il indique par ailleurs que les objets vendus aux alentours, tels que l’encens, la bougie, le chapelet sont des éléments utilisés pour l’édification de la foi chrétienne. ” On s’en sert pour la liturgie, à la messe on utilise l’encens, la bougie “, poursuit-il.
Mais le savon, l’huile, le parfum sont pour lui, “une transportation, une télé déportation même, de pratiques venues d’ailleurs intégrées dans l’église en Côte d’Ivoire. C’est prendre du fétichisme pour venir dans le catholicisme. Ce n’est plus religieux. Ce n’est plus chrétien. C’est de l’endoctrinement spirituel, de l’enfantillage spirituel”, déplore-t-il.
Le diacre rapporte qu’il avait été invité à bénir la nouvelle maison d’une fidèle catholique. Après l’action, la sœur demanda la bénédiction d’objets dans sa maison, dont des tableaux, un parfum de Saint Michael et une épée qu’elle déclare de Saint Michael représentée par une petite feuille de tôle enfoncée dans une tige de bois sec, vendue à 10 000 FCFA et qui servirait à “combattre les sorciers”. Après avoir refusé de les bénir, le vicaire exhorta la femme à abandonner ces pratiques.
“ J’ai dit non. L’église catholique ne se reconnait pas dans ces pratiques”, a martelé le père.
“On se reconnait dans l’encens, le chapelet, dans la bougie. Ce sont des éléments de prières. Des éléments qui aident à grandir dans la foi catholique “, certifie-t-il.
Selon le religieux, l’église catholique met l’accent sur l’encens, à cause des rois mages qui sont aller adorer le Christ avec des encens, pour le petit Roi qui venait de naître. “L’encens qui monte ici, monte avec la prière”.
“Concernant la bougie, elle image la Parole du Christ qui dit que vous êtes la lumière du monde. Cette lumière symbolise le Christ, la vraie lumière qui éclaire notre vie, dirige notre vie spirituelle et physique. C’est pourquoi, la bougie est allumée pendant la messe “, explique-t-il.
Pour le serviteur de Dieu, il n’y a aucune huile dite sainte qui puisse être commercialisée. Pas dans l’église catholique. ” A l’église catholique, il y a trois sortes d’huiles, l’huile des catéchumènes, le saint chrême pour les ordinations, et l’huile d’onction pour les malades. Ces huiles ne sont bénies que par l’évêque à la messe chrismale, une fois par an “, allègue-t-il.
Il souligne que les huiles de protection ou d’onction vendues çà et là, sont des faits anticatholiques”. L’usage de savons, d’huiles, parfums sont des déviations qui doivent être dénoncées et corrigées. Elles ne sont ni valorisées, ni autorisées dans l’église. Ce sont des déviations, qu’il faut arrêter”, martèle-t-il.
L’abbé Bernard crie au ras-le-bol. “Il faut la sensibilisation pour que les chrétiens sortent de ces pratiques. Les pères doivent en outre veiller constamment sur les objets vendus dans leurs paroisses et aux alentours, faire des perquisitions pour voir les objets vendus dans les magasins de la paroisse, parce qu’on y trouve souvent des déviations énormes”, conseille-t-il.
De nombreux commerces prospèrent aux abords des édifices religieux. Les objets de piété qui ont captivé notre attention apportent du réconfort à certains, tandis qu’ils sont repoussés par d’autres qui les considèrent comme des vecteurs d’apostasie.
(AIP)
eaa/tm