Gagnoa, 07 sept 2024 (AIP) – Dans un espace dégagé d’environ deux hectares à Dignago, 42 km de Gagnoa (Centre-ouest, 274 km d’Abidjan), des femmes s’affairent sous une épaisse fumée noire, près de monticules de charbon de bois. Ces femmes, en quête d’autonomie financière, travaillent sans relâche dans la fabrication artisanale du charbon de bois, une activité pénible et risquée.
La quête d’indépendance financière
Vêtue d’un polo sombre et d’un pantalon noirci par la poussière, Diarrassouba Maïmouna, mère de deux enfants, explique sa journée de travail. Elle manipule une daba pour rassembler la terre autour d’un tas de troncs d’arbres qui constitue le four de quatre mètres, destiné à produire du charbon. « Je suis venue ici car je n’avais rien d’autre. C’est un travail dur, mais il rapporte un peu d’argent », confie-t-elle. Malgré les risques sanitaires, comme les infections pulmonaires causées par la fumée, Maïmouna a pris ce travail par nécessité.
Dans ce site collectif, chaque femme gère son propre tas de charbon, indépendamment des autres. « Je loue les services de bûcherons pour 5 000 FCFA. Ils apportent le bois, souvent des restes de tecks ou d’hévéas endommagés », explique Maïmouna. Les femmes doivent acheter ce bois aux propriétaires terriens ou récupérer des chutes d’arbres.
Processus de production
Pour fabriquer le charbon, le bois est empilé, recouvert de terre, puis enflammé pour brûler lentement. Le processus prend cinq à sept jours selon l’humidité du bois. « Si le charbon est prêt et qu’on n’est pas là pour le récupérer à temps, il peut se consumer », explique Adjaratou Tiémé, une autre fabricante. En une semaine, un four de quatre mètres produit environ six à sept sacs de charbon, vendus à 3 500 FCFA chacun sur le marché local.
Adjaratou, qui travaille dans ce secteur depuis deux ans, explique que le bénéfice est modeste, mais suffisant pour survivre. « En moyenne, je gagne 7 500 FCFA par production », dit-elle. Elle parvient à produire du charbon trois fois par mois, ce qui lui rapporte environ 40 000 FCFA mensuellement, un revenu permettant de subvenir à ses besoins.
Une entreprise familiale
Pour certaines, comme Lisata Kaboré, cette activité est une affaire de famille. « Cela fait 11 ans que je fais ce travail avec ma fille. C’est difficile, mais nous partageons les tâches pour le rendre moins éprouvant. Je peux produire jusqu’à 16 sacs de charbon en quatre jours », raconte Lisata. Avec un revenu hebdomadaire de 65 000 FCFA, elle estime son bénéfice mensuel entre 130 000 et 140 000 FCFA, un montant conséquent pour une femme vivant en milieu rural.
Les risques environnementaux et sanitaires
Cependant, cette activité n’est pas sans conséquences. La déforestation est l’un des défis majeurs. Selon un agent des Eaux et Forêts, la production de charbon de bois contribue à la destruction des forêts, notamment lorsque des arbres comme les tecks et hévéas sont abattus. Ces pratiques clandestines, bien que réglementées par l’État, persistent malgré la surveillance des autorités. « Nous traquons ceux qui produisent du charbon sans permis d’exploitation », souligne un officier des Eaux et Forêts.
Outre les conséquences écologiques, la production de charbon présente aussi des risques sanitaires. Le charbon produit à partir du bois d’hévéa, largement utilisé dans la région, est toxique pour les braisés en raison des substances chimiques contenues dans le caoutchouc. Peu de gens en sont conscients et ce charbon est souvent vendu dans les marchés pour la cuisine.
Un avenir incertain pour les femmes de Dignago
Malgré la dureté de leur travail, les femmes de Dignago continuent de s’investir dans la production de charbon de bois, attirées par la perspective d’un revenu, même modeste. Cependant, les conditions de travail difficiles, les risques sanitaires et la déforestation galopante rendent leur avenir incertain. La transition vers des solutions plus durables, telles que les briquettes de cacao, pourrait offrir une issue à ces femmes tout en protégeant les ressources naturelles du pays.
Des solutions alternatives émergentes
Face à ces défis, des initiatives pour trouver des alternatives au charbon de bois commencent à voir le jour. Le directeur général de l’Agence nationale d’appui au développement rural (ANADER), Dr Sidiki Cissé, propose l’utilisation de briquettes de cacao comme solution de substitution. « Si nous parvenons à transformer les coques de cabosses en briquettes combustibles, nous pourrions réduire considérablement la dépendance au bois et atténuer la déforestation », affirme-t-il. Ce projet pourrait non seulement protéger l’environnement, mais aussi fournir une source d’énergie durable aux ménages ivoiriens.
Encadré : Le service des Eaux et Forêts clarifie la situation sur les producteurs de charbon de bois et les risques pour la santé
Le commandant Estève Eustache, chef de cantonnement des Eaux et Forêts de Gagnoa, a tenu à lever toute ambiguïté concernant la production de charbon de bois dans la région. Il précise que cette activité est strictement encadrée par un permis d’exploitation délivré par le ministère des Eaux et Forêts. Le bois utilisé provient principalement des abattis laissés après l’exploitation forestière, des résidus de scieries et, dans le département de Gagnoa, de plantations d’hévéa en fin de cycle.
Le commandant souligne que les propriétaires de plantations d’hévéa vendent souvent les chutes de bois à des scieurs, qui les découpent avant de les remettre aux femmes, moyennant une compensation, pour la production de charbon. Cependant, il alerte sur le danger que représente le charbon produit à partir du bois d’hévéa lorsqu’il est utilisé pour les braisés. “Ce charbon, bien qu’utile pour la cuisson générale, est toxique pour les braisés à cause des substances chimiques présentes dans le caoutchouc,” explique-t-il. Une campagne de sensibilisation a été lancée pour informer la population des risques sanitaires liés à cette pratique.
En ce qui concerne les scieurs, le commandant Estève Eustache affirme que la plupart ne sont pas des clandestins, puisqu’ils possèdent des permis d’exploitation. Toutefois, il déplore que certaines personnes ignorent les règles en vigueur, utilisant des techniques non conformes ou des matières inappropriées, contribuant ainsi à la dégradation de la forêt. “Nous les exhortons à se conformer à la réglementation sous peine de sanctions,” avertit-il.
Dogad Dogoui
AIP Gagnoa