Abidjan, 28 juil 2023 (AIP) – Une tête énorme avec deux petits yeux enfouis dans le visage, c’est le triste spectacle qu’il ait donné de découvrir au domicile de dame K. Estelle, la trentaine révolue, mère de l’enfant Hydrocéphale, B. Victoire, dans le quartier “Schneider”, aux allures de bidonville d’Anyama, commune située à 21 km au nord d’Abidjan.
Pour accéder au domicile, nous sommes accompagnés par la mère de l’enfant atteint d’hydrocéphalie, vendeuse ambulante de gâteaux, que nous récupérons au marché d’Anyama. Nous embarquons pour le domicile, inaccessible en voiture.
Après avoir parcouru des ruelles escarpées, nous arrivons au domicile. Installés sur la terrasse, en jetant un coup d’œil dans une chambre ouverte à l’intérieur de la maison, nous voyons une tête énorme d’un enfant. Sa mère nous invite à entrer dans la pièce. B. Victoire, âgée de deux ans, couchée sur un matelas, nous regarde avec crainte. Sa mère qui est revenue de sa vente de gâteaux, s’approche d’elle, pour lui faire des câlins afin de la rassurer.
Rassurée par sa mère, je m’approche de Victoire pour lui faire un câlin, à ma grande surprise la petite nous tend la main, caressant notre joue. La tendresse, il en faut beaucoup pour permettre à ces enfants de supporter ce fardeau qui se trouve sur leurs frêles cou et épaules.
Personne ne sait les douleurs ou la gêne que peut ressentir Victoire, atteinte d’hydrocéphalie, une maladie courante chez les enfants qui représente 9% des hospitalisations neurochirurgicales en Côte d’Ivoire, selon la revue de l’Université Félix Houphouët-Boigny (revue UFHB).
Face à la joie d’accueillir un enfant, les mères portant des enfants hydrocéphales voient leur monde s’écrouler
Estelle raconte qu’à neuf mois de grossesse, à la suite d’une échographie, l’on découvre que l’enfant qu’elle porte est atteint d’une hydrocéphalie, précisant que l’accouchement s’est fait par césarienne.
« A la naissance de l’enfant, après plusieurs traitements à l’indigénat et par la suite des appels sur Facebook, l’ONG Ephrata, est venu à notre secours, en nous aidant à faire une première opération au Centre hospitalier universitaire de Treichville, mais aujourd’hui, mon enfant a besoin d’une deuxième opération en Europe », explique Estelle. Elle sollicité l’aide de personnes de bonne volonté, surtout que la tête de l’enfant grossit de plus en plus.
Mlle D. Lucie, la trentaine, résidant à Yopougon et membre de l’ONG Cœur amour de maman, mère d’un enfant hydrocéphale, a vu que tout semblait s’effondrer après la première échographie durant la grossesse.
« Pendant l’échographie à six mois de grossesse, le médecin n’annonce que l’enfant dans le fœtus à une maladie qui s’appelle hydrocéphalie, (…) le médecin me rassure et me dit de ne pas avoir peur et que je peux trouver la solution plus tard. Cependant, lorsque je suis sortie de l’hôpital et que je me suis renseignée sur le moteur de recherche google et lorsque j’ai vu les images, mon monde s’est écroulé et j’ai pleuré pendant toute une journée », relate Lucie qui désormais, garde une lueur d’espoir car son enfant a bénéficié d’une rééducation. La trentaine, une autre maman, K. Emilienne, vit à Yopougon Niangon, avec ses deux enfants dans une maison de deux pièces. L’un de cinq ans et l’autre, Miracle, âgé d’un an. Très enthousiaste mais un peu timide à l’idée d’évoquer son histoire, elle raconte: « Enceinte à neuf mois, je me suis rendue dans une clinique pour faire une échographie parce que l’enfant ne bougeait plus, c’est là que le médecin m’annonce que l’enfant a une anomalie et que sa tête a grossi et qu’il a pris la position siège, donc le docteur a décidé de faire une césarienne. »
« A la naissance de ma fille, elle avait une boule dans le dos et sa tête était grosse et déformée », s’émeut Emilienne.
L’enfant K. Youssouf, en revanche, est né par voie basse. « C’est à partir de cinq mois après la naissance de mon fils que sa tête a commencé à grossir et nous sommes allés voir le neurochirurgien et il nous a informés que c’est une hydrocéphalie », expose la mère, S. Habiba, rencontrée, dans une clinique à la Riviera. L’enfant avait la tête couverte par un voile, pour le protéger des regards.
K.A et sa femme, M.S, malgré le handicap de leur enfant, couvrent leur fils de câlin. Le père et son fils, hydrocéphale, en pagne uniforme, que nous rencontrons lors d’une visite médicale, totalement dans une complicité affective. Le père qui tient son fils sur ses pieds, joue avec son bébé pour l’aider à supporter cette tête énorme et montrer à l’enfant qu’il l’aime malgré cette maladie.
Des causes multiples, selon le spécialiste
“Les plus fréquentes sont malformatives. D’autres causes peuvent survenir, l’enfant naît de façon normale et il contracte une infection qui peut entraîner l’hydrocéphalie. » explique le professeur enseignant à l’Université Félix Houphouët-Boigny, Landry Drogba, neurochirurgien.
Les tumeurs et des problèmes vasculaires (…) peuvent également entraîner l’hydrocéphalie, fait savoir le professeur. Une fois la maladie diagnostiquée, il faut une prise en charge spécialisée et de façon multidisciplinaire de l’enfant, note-t-il.
Une prise en charge onéreuse pour les parents
Mme Gbahou, présidente de l’association « Cœur de maman amour d’enfants »
« Les médicaments sont coûteux et ne sont d’ailleurs pas toujours disponibles. Les enfants, pour la plupart, doivent être opérés pour diminuer le volume de la tête ou empêcher que la tête ne grossisse davantage, et, ces interventions sont coûteuses ! », alerte Mme Gbahou, présidente de l’association « Cœur de maman amour d’enfants », une ONG engagée dans la lutte pour le bien-être des enfants souffrant d’hydrocéphalie.
A « La maison de l’espoir », un centre d’hébergement des enfants atteints d’hydrocéphalie et de leur parent, Marcellin Gada-Yao Bertrand, le responsable du centre, membre de l’ONG Ephrata, s’inquiète également du coût du traitement pour des familles très souvent démunies.
“Après les examens et analyses, si le neurochirurgien estime que l’enfant doit être opéré, la clinique remet une facture proforma de 1,5 million FCFA. L’ONG collecte ensuite les fonds pour l’opération via les réseaux sociaux”, précise M. Yao.
Selon lui, la collecte de fonds grâce aux réseaux sociaux n’est que le début d’un long parcours stressant, angoissant et anxiogène pour parents et enfants. “(…) Après l’opération, commence le parcours du combattant parce que, après, il va falloir faire les soins et il va falloir suivre l’enfant régulièrement et cela nécessite excessivement de moyen”, détaille-t-il.
“L’opération est coûteuse, le médecin nous a informés qu’elle coûte deux millions”, renchérit la maman du petit Kalib. Faute de moyens, elle a lancé un appel sur les réseaux sociaux et a obtenu une prise en charge de 600.000 FCFA pour la première opération. Cependant, une deuxième opération a été nécessaire car la tête de l’enfant continuait de grossir.
Le père de l’enfant Miracle, a choisi de traiter son enfant avec des médicaments traditionnels plutôt que de payer les deux millions de Francs CFA pour l’opération. Malheureusement, la condition de l’enfant s’est aggravée en décembre 2022.
L’aide de l’Etat est fortement attendu pour tous ces malades
« Pour être franc, nous n’avons aucun soutien de l’Etat“, confie M. Yao qui précise que le centre dispose, d’ailleurs, d’un document du ministère de la Santé, le reconnaissant comme un organisme paramédical. “La valve offerte par l’organisation est fournie par un partenaire international”, ajoute-t-il.
« L’Etat ne subventionne pas cette maladie. Dans le panier de la gratuité, des enfants avec des affections de neurochirurgie ne sont pas prises en compte », clarifie Pr Drogba.
D’après le professeur, l’hydrocéphalie est une malformation parmi d’autres chez l’enfant. Il existe également d’autres malformations, telles qu’un pied supplémentaire ou une bosse sur le visage. “L’hydrocéphalie est une maladie spécifique, contrairement au cancer qui peut prendre de nombreuses formes. Il est important de considérer l’hydrocéphalie mais également les autres malformations chez les enfants”, ajoute le neurochirurgien.
En plus de ces difficultés de prise en charge, les mères de ces enfants hydrocéphales doivent faire face à des chocs psychologiques liés à la stigmatisation.
Des pesanteurs culturelles qui enfoncent les mères dans la détresse
« Mon papa m’a dit que mon enfant n’est pas un être humain, c’est un génie et que les enfants comme ça, ils viennent sur la terre pour détruire la vie des parents, les appauvrir et donc il va venir prendre l’enfant pour l’envoyer au village pour faire des rituels pour qu’elle meure », témoigne K. Emilienne. Elle ajoute que sa grande sœur lui a même conseillé d’écouter son père car son bébé est “un enfant serpent”.
Après la naissance de leur enfant, son mari lui a dit que ses parents lui ont demandé de se séparer d’elle et qu’elle est une femme de malheur.
« Vraiment, ce qui est le plus difficile dans cette histoire, c’est lorsque tu sors, le regard des gens, c’est douloureux. Certains m’interpellent : madame, pourquoi avez-vous laissé l’enfant devenir comme ça ? C’est une fontanelle, cela est en train de gâter sa tête », regrette dame Lucie. Elle ajoute que certaines personnes détournent leur regard de l’enfant hydrocéphale parce qu’elles se disent qu’en le regardant, elles auront un enfant pareil.
« En tout cas, c’est dehors qui est le plus difficile. D’autres personnes refusent de prendre ton enfant. Un jour, je suis montée dans un taxi, ce dernier m’a dit de descendre, lorsqu’il a vu mon enfant », déplore-t-elle, écœurée.
Estelle explique qu’à la vue du bébé, à l’hôpital, sa belle-mère a crié: « non, moi je vais aller où avec ça un enfant comme ça là, il n’y en a pas dans ma famille, c’est parce que ton cœur est noir que tu as fait enfant comme ça! ». Une phrase qu’elle se remémorera toute sa vie, dit-elle, assurant subir fréquemment des injures, des propos humiliants et désobligeants.
En plus de ces difficultés, la cohésion familiale en pâtit, l’environnement socio-économique également
Emilienne n’a plus d’activité depuis deux ans. “Je faisais du commerce de banane. Je recevais de la banane de Lakota que je livrais dans les restaurants et aux femmes dans différents quartiers”, affirme-t-elle.
Habiba est aide-soignante. Depuis la naissance de Kalib, elle ne fait plus rien comme activité. “J’ai tout arrêté pour m’occuper de lui, parce qu’on ne trouve même pas de servante. Quand tu demandes (une) servante quand elle vient et qu’elle voit l’enfant, elle dit +j’ai compris+ et tu ne vois plus la servante, il n’y a personne pour s’occuper de lui, cela fait trois ans que je m’occupe de lui”, explique-t-elle.
Pour la présidente de l’association « Cœur de maman amour d’enfants », la société et la famille peuvent être des sources de souffrance pour les mères d’enfants atteints d’hydrocéphalie. « Souvent, la famille, le père et les beaux-parents n’acceptent pas la situation et la mère est accablée. Cependant, une mère qui refuse de tuer son enfant doit être honorée et soutenue », soutient Marcelle Gbahou.
Le centre d’hébergement des enfants atteints d’hydrocéphalie prend soin des enfants jusqu’à ce qu’ils soient prêts à retourner dans leur famille. Ensuite, le centre fournit un peu d’argent pour aider les parents à rejoindre leur lieu de résidence.
« Lorsqu’une mère ou un couple a un enfant hydrocéphale de manière générale, soit la maman s’en va ou le papa part, et donc l’un des parents se retrouve seul sans ressources, alors après avoir pris soin de l’enfant, nous essayons de collecter les fonds, pour essayer d’aider le parent qui est à la charge de l’enfant « , explique le responsable du centre d’hébergement.
Un appel lancé au gouvernement et aux bonnes volontés
« Nous demandons à l’Etat de vraiment se pencher sur le cas des enfants atteints d’hydrocéphalie, les parents sont désemparés et il y a des moments où nous-mêmes, nous sommes offusqués et nous regardons les enfants dans les difficultés et nous n’avons pas les moyens pour une prise en charge efficiente », plaide Marcellin Gada-Yao.
Son ONG, “La maison de l’espoir” ne reçoit pas de subvention. Gada-Yao précise que sa structure cherche des fonds sur les réseaux sociaux et auprès de certains partenaires qui contribuent de manière sporadique.
Selon lui, pour collecter la somme nécessaire à l’opération d’un enfant atteint d’hydrocéphalie, il faut attendre pendant un an. Pendant ce temps, la maladie progresse chez l’enfant malade et peut atteindre un stade critique, regrette-t-il.
Le professeur Drogba appelle à une organisation plus centralisée et étatique pour que le ministère de la santé prenne en charge les affections liées à l’hydrocéphalie. « Notre appel est que l’organisation, le mouvement soit plus étatique, plus centralisé pour que la tutelle qui est le ministère de la Santé, prenne la résolution de prendre en charge ces affections, pour que les patients étant libérés du poids, de la charge, liés à la prise en charge de ces affections, puissent promptement venir voir les professionnelles de la santé pour un traitement et une guérison plus satisfaisante », plaide le neurochirurgien.
(Reportage réalisé par Philomène Kouamé)
Encadré 1
Déficit de données des enfants hydrocéphales en Côte d’Ivoire
Selon le maître de conférences agrégé en anatomie et neurochirurgie à l’UFR des sciences médicales de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, chef de service neurochirurgie de l’hôpital catholique Saint Joseph Moscati de Yamoussoukro, et présidente de l’ONG Espérance Hope, qui lutte contre l’hydrocéphalie et le Spina bifida, Mme Espérance Broalet, en Côte d’Ivoire, les données de cette pathologie sont presque inexistantes. « En Côte d’Ivoire nous n’avons véritablement pas de chiffres sur l’incidence générale sur la population, mais on peut les situer autour de 10 à 11% », déclare Espérance Broalet. Les chiffres hospitaliers au cours de ses consultations, sont à 20% de l’activité, précisant qu’il y a une déperdition puisque tous les cas ne sont pas hospitalisés. Selon l’OMS, il y a deux à quatre cas d’hydrocéphalies pour 1.000 naissances dans le monde.
Encadré 2
Inauguré le 14 juillet 2021, le centre d’hébergement des enfants atteints d’hydrocéphalie baptisé « La maison de l’espoir Emeric », situé à Yopougon Maroc, est un centre réservé à l’accueil et à l’hébergement provisoire des enfants atteints de l’hydrocéphalie et du spina-bifida. Il reçoit les enfants qui viennent de l’intérieur du pays et qui doivent se faire suivre ou se faire traiter à Abidjan. Le centre fournit l’hébergement, la nourriture, des couches, des vêtements et les commodités qu’une maison normale. Ces enfants sont accueillis le temps que l’opération se fasse dans une clinique, partenaire de l’ONG Ephrata, et ce, jusqu’à la cicatrisation.
A l’arrivée des enfants au centre, ils sont enregistrés et par la suite, le diagnostic de la maladie est effectué. Le nombre d’enfants opérés pour la période de janvier 2022 à avril 2023 est de 55. Du 02 juillet 2021 jusqu’au 28 mars 2023, le centre a accueilli 13 pensionnaires (parents et enfants) en attente d’opération. Pour 2019, 40 enfants atteints de l’hydrocéphalie ont été opérés. En 2020, ce sont 50 enfants qui ont bénéficié de cette opération. Ce centre sera bientôt doté d’une salle de rééducation pour les enfants atteints de l’hydrocéphalie et du spina-bifida, va également servir de cadre de rencontres pour les parents des enfants souffrant desdits maux.
(AIP)
apk/ kkf/cmas
(Reportage réalisé par Philomène Kouamé)