Agboville, 10 août 2023 (AIP) – En plein cœur des initiatives de la Côte d’Ivoire visant à restaurer son couvert forestier à 20% d’ici 2030, le campement d’Aké-Douanier, situé à 40 km d’Agboville, s’érige en modèle de réussite pour l’agroforesterie. La Société coopérative simplifiée Binkadi d’Aké-Douanier (SCOOPS-BAD), spécialisée dans la collecte et la vente de cacao, incarne cette initiative cruciale avec plus d’une décennie d’engagement dans la politique d’agroforesterie. Malgré les défis rencontrés pour rallier tous les producteurs à ce projet, la SCOOPS-BAD affiche des performances notables, devenant ainsi un partenaire privilégié pour les programmes de reboisement. Plongeons dans les coulisses de cette coopérative jouant un rôle central dans la quête de reverdir la Côte d’Ivoire.
La naissance de la SCOOPS-BAD en 2008 marque le début d’une nouvelle ère, mais ce n’est qu’en 2012 qu’elle entre véritablement en action, obtenant sa certification la même année. L’aventure avec l’agroforesterie démarre avec une série de projets novateurs. En 2012, SCOOPS-BAD rejoint le programme de Rain forest, exigeant 18 arbres par hectare pour obtenir la certification de la coopérative. L’initiative « Cacao ami de la forêt » du chocolatier Cémoi voit le jour en 2017, avec un objectif plus ambitieux : la mise en terre de 100 arbres par hectare, visant une moyenne de 50 arbres à maturité. L’année 2017 marque le lancement officiel de la pratique de l’agroforesterie à grande échelle avec également un projet soutenu par l’industriel du bois, Tranchivoir. « Avant même 2017, nous avions commencé à planter des arbres en petites quantités, principalement pour répondre aux critères de certification. Tout a débuté à Aké-Douanier avant de s’étendre aux champs d’autres producteurs de la coopérative », explique René Yao, président du comité de gestion de la SCOOPS-BAD.
L’idée d’intégrer l’agroforesterie émerge également de la synthèse des recherches sur le changement climatique et des observations de M. Yao. Selon lui, l’expansion de la culture du « cacao Ghana », surnommé le « Tout venant », avait entraîné une déforestation considérable. Cependant, ces cacaoyers se sont révélés vulnérables au soleil, entraînant la destruction de nouvelles forêts pour créer de nouveaux champs. Inspirée par les méthodes traditionnelles où le cacao prospérait sous un couvert forestier, l’agroforesterie s’est imposée comme la voie à suivre.
Le processus de plantation d’arbres : un travail minutieux et générateur d’emplois
Le recrutement de jeunes est au cœur de ce processus. Ils sont engagés pour planter les arbres et sont rémunérés en fonction du nombre d’arbres plantés. La formation, d’une durée moyenne de deux jours, est assurée par Boidi N’tapké Omer, responsable de l’agroforesterie au sein de la SCOOPS-BAD. Ancien collaborateur de la SODEFOR, spécialisé en sylviculture, M. Boidi les guide dans l’art minutieux du piquetage (pour distancer les essences de 10 mètres), des trouées, du processus de plantation, ainsi que des techniques pour manipuler les jeunes plants sans les endommager et les aider à prospérer.
« Nous plantons 100 arbres à l’hectare, et chaque arbre coûte 125 FCFA. Nous allons dans un champ pour la formation, et je les mets en essai sur une parcelle », précise M. Boidi.
L’aspect technologique n’est pas en reste au sein de la coopérative. Le responsable de l’agroforesterie est chargé de recenser chaque arbre planté dans les champs des producteurs à l’aide d’une application spécialement conçue, fonctionnant sur tablette. Toutes les données collectées sont ensuite transmises au directeur de la durabilité en certification au sein de la coopérative, puis acheminées aux partenaires.
Le processus de vérification ne s’arrête pas là. Lors d’une visite effectuée par les agents des Eaux et Forêts, également appelée audit, chaque ligne d’arbres plantés est minutieusement contrôlée. À la fin de cette vérification, un calcul est effectué pour déterminer le taux de survie des arbres. Un taux de mortalité élevé pourrait compromettre un projet soutenu par un partenaire.
Des partenaires engagés pour soutenir l’agroforesterie
La SCOOPS-BAD bénéficie de l’accompagnement de plusieurs partenaires, notamment Tranchivoire, un industriel du bois. Une collaboration en place depuis 2017 lie ces deux entités. Renouvelé chaque année, ce partenariat ne se limite pas à un simple accord commercial, mais englobe également des dimensions financières, techniques et de formation. Chaque année, un objectif bien défini guide leur collaboration, intégrant les besoins de Tranchivoire en matière de bois. Pour l’année 2023, la SCOOPS-BAD se voit confier la mission de reboiser 94 hectares. « C’est le premier partenaire qui nous a véritablement soutenus dans nos efforts. Leur engagement a été essentiel », souligne le président du comité de gestion de la SCOOPS-BAD.
Un autre partenaire, la coopération allemande GIZ, joue également un rôle dans l’avancée de la SCOOPS-BAD en matière d’agroforesterie. Depuis 2015, cette collaboration s’articule autour de diverses initiatives de formation. La coopérative, avec un plan triennal couvrant la période 2023-2026, prévoit en collaboration avec la GIZ de reboiser 800 hectares, dont 600 en agroforesterie sous cacao et 200 en agroforesterie sur des jachères. Cette démarche intègre des principes de durabilité et de régénération répondant aux besoins des partenaires, y compris les exportateurs de cacao.
L’accompagnement des agents des Eaux et Forêts complète ce réseau de soutien. Ils jouent un rôle essentiel dans la sensibilisation et la certification des arbres plantés. Chaque année, un audit minutieux est effectué pour vérifier la santé et la croissance des arbres plantés. Cette collaboration stratégique crée une boucle de responsabilité, garantissant que les arbres plantés répondent aux normes et aux exigences environnementales.
Pour René Yao, ce groupe de partenaires représente bien plus qu’une simple collaboration. Il incarne un gage de stabilité, une alliance solide renforçant la capacité de la SCOOPS-BAD à promouvoir une pratique agricole respectueuse de l’environnement, améliorant ainsi la qualité de son cacao.
Environ 600 hectares de champs reboisés à ce jour
Depuis 2017, près de 600 hectares de champs de cacao, principalement à Aké-Douanier, ont été reboisés grâce à l’agroforesterie. Un accomplissement qui remplit de fierté et d’enthousiasme René Yao, dont la satisfaction réside dans la compréhension croissante des planteurs vis-à-vis de cette démarche. La SCOOPS-BAD se positionne désormais comme une référence, sollicitée par d’autres coopératives pour partager son expertise en matière de plantation d’arbres dans les champs.
Cette réussite découle en partie des méthodes astucieuses employées par la SCOOPS-BAD pour encourager les planteurs à intégrer les arbres dans leurs exploitations. « En collaboration avec nos partenaires, une source de motivation existe. Lorsqu’un hectare est planté, nous offrons une lime et une machette. En fin d’année, en partenariat avec nos partenaires, nous récompensons les 10 meilleurs planteurs, ceux qui ont bien entretenu leurs arbres plantés. Tout ceci vise à stimuler la volonté de planter des arbres », partage René Yao.
Une pépinière de 60 000 plants d’arbres d’ombrage pour l’année 2023
S’étalant sur un demi-hectare, la pépinière abrite un assortiment varié d’espèces d’arbres soigneusement sélectionnées. Celles-ci sont mises à la disposition des partenaires de la SCOOPS-BAD, de ses propres producteurs, ainsi que des coopératives exprimant le besoin. Cette démarche de production autonome de plants d’arbres a été lancée en 2017 et reflète l’engagement de la coopérative envers la durabilité environnementale.
L’année 2023 a vu la production de 60 000 plants, contre 40 000 en 2022, sur ce site. Parmi les espèces présentes figurent le fraké, l’apki, le framiré, l’acajou, l’irvingia et le Niangon. Ces arbres, en plus d’être compatibles avec les cacaoyers, se transforment en sources de revenus pour les familles des planteurs pour ceux qui donnent des fruits tels que l’apki et l’irvingia.
Le calendrier de travail prend son envol dès janvier, avec la préparation du terrain. L’équipe technique qui travaille sur le site illustre l’inclusion et l’implication des membres de la coopérative. Un groupe de femmes, épouses des producteurs membres, s’affaire à remplir les sachets de terre en échange d’une compensation financière. Parallèlement, des jeunes sont chargés de l’organisation des sachets. À eux succèdent deux techniciens permanents, une femme et un homme, qui surveillent attentivement la croissance des plants, leur entretien, l’arrosage et tout ce qui contribue à leur bien-être.
René Yao tient à mettre en avant la dimension sociale de ce projet. « Nous favorisons les enfants de nos producteurs. Nous leur accordons la priorité lors des recrutements. C’est aussi une façon de les encourager à aimer la forêt, la nature sauvage et les champs de cacao. Ils sont formés par la coopérative », signale-t-il.
En mai, les distributions débutent en faveur des coopératives partenaires qui en font la demande. « Nous sommes également engagés dans un programme de durabilité avec Nestlé. Ainsi, tous les fournisseurs Nestlé de la région viennent sur notre site pour se procurer ces arbres. Ces plants sont gracieusement offerts, grâce à une subvention de Nestlé qui soutient notre production. Les semences sont mises à notre disposition par l’intermédiaire de Nestlé », relève le président du comité de gestion de la SCOOPS-BAD.
Réticences et résistances…
Le chemin pour amener les planteurs à adopter le programme d’agroforesterie est loin d’être facile. La SCOOPS-BAD a multiplié les campagnes de sensibilisation à grande échelle et de proximité pour expliquer l’importance des arbres dans les champs de cacao, notamment en termes de protection contre les effets du changement climatique. Cependant, des obstacles persistent, en particulier lorsqu’il s’agit d’inciter les nouveaux membres de la coopérative à rejoindre l’initiative, malgré la nouvelle politique forestière du gouvernement ivoirien et les normes internationales telles que l’ARS 1000 et les directives de l’Union Européenne.
La norme ARS 1000 vise à promouvoir et à garantir un cadre permettant la production de fèves de cacao durables. La pratique de l’agroforesterie est une exigence pour cette norme qui dispose de 11 exigences dont quatre font référence à l’agroforesterie. Le parlement européen a adopté le 19 avril 2023, une réglementation pour interdire l’importation sur son sol de produits ayant contribué à la déforestation. Le bois, le soja, le cacao, le café, l’huile de palme, le caoutchouc et le bœuf ainsi que leurs dérivés sont concernés par cette réglementation. L’Union Européenne, à elle seule, aspire près de 70% de cacao vendu dans le monde.
« Certains ont émis des doutes, allant jusqu’à prétendre que nous voulions planter des arbres pour finalement leur arracher leurs parcelles. Des voix dissidentes ont mené des contre-sensibilisations, appelant les planteurs à rejeter l’idée de planter des arbres. Face à cela, nous avons repris notre travail de sensibilisation, inlassablement. Heureusement, certains ont finalement accepté l’importance de notre démarche », explique René Yao.
Pour la SCOOPS-BAD, ces difficultés ne freinent pas sa volonté de promouvoir l’agroforesterie de manière plus audacieuse. La coopérative aspire à créer des micro-forêts en utilisant des parcelles mises à disposition par ses membres. Les sensibilisations vont bon train dans cette direction, et des réflexions sont menées pour développer des politiques d’accompagnement et d’encouragement.
« L’idée est de planter exclusivement des arbres qui ne seront pas associés au cacao. Nous envisageons de planter 500 arbres par hectare. Nous anticipons toujours. Nous avons que qu’il y a la mise en place de la tasse carbone qui est en cours et sera validée en Côte d’Ivoire. Ce que nous avons initié hier est devenu aujourd’hui un programme d’importance nationale et internationale », conclut fièrement le premier responsable de la SCOOPS-BAD.
(AIP)
ena/tm