Abidjan, 29 août 2023 (AIP) – L’économie circulaire est un modèle économique qui vise à produire des biens et des services de manière durable en limitant le gaspillage des ressources et la production de déchets. Ce modèle s’oppose au modèle linéaire du “tout jetable” et repose sur une gestion durable des ressources, de nouveaux modes de production et de consommation, ainsi que sur la création de boucles vertueuses où chaque étape entraîne la suivante. En tant qu’outil de mise en œuvre du développement durable, l’économie circulaire apparaît aujourd’hui comme un levier essentiel pour résoudre des défis complexes tels que le changement climatique et la perte de biodiversité. Dans cet entretien accordé à l’AIP, M. Kopieu Gouganou, directeur général de l’Institut de l’économie circulaire d’Abidjan (IECA) présente les enjeux et les opportunités que ce modèle économique offre aux entreprises ivoiriennes.
AIP : Pour le citoyen Lambda l’économie circulaire, qu’est-ce que c’est ?
DG : L’économie circulaire est un outil pour atteindre le développement durable. Elle repose sur trois objectifs principaux : réduire l’utilisation des ressources naturelles, produire en respectant l’environnement et notre cadre de vie, et recycler les déchets pour protéger l’environnement et éviter la déforestation. Les déchets peuvent être considérés comme des matières premières pour d’autres personnes et il existe des start-ups qui développent des concepts de recyclage en Côte d’Ivoire et dans la sous-région (ouest-africaine). Donc, l’économie circulaire permet de réduire l’utilisation abusive des ressources naturelles en favorisant leur réutilisation et leur recyclage. Cela contribue à préserver l’environnement et à assurer un développement durable.
AIP : Est-ce que ce concept a fait l’objet de sensibilisation auprès des populations et des entreprises ?
DG : Il y a eu les entreprises que nous avons rencontré avec la Confédération des entreprises pour leur expliquer ce qu’est l’économie circulaire. La Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI) fait partie du conseil d’orientation de l’Institut de l’économie circulaire d’Abidjan. Donc en tant que tel, il y a une représentation en interne qui est informée de ce qu’est l’économie circulaire et qui, de son côté, informe les autres. Dans le cadre du forum qui va se tenir du 18 au 21 octobre 2023, il y a eu des rencontres avec la Confédération des entreprises pour pouvoir mobiliser toutes les entreprises qui y sont. Nous avons également rencontré le Club « Abidjan, ville durable » où il y a une centaine d’entreprises françaises qui exercent en Côte d’Ivoire et se sont mises en association pour la Ville durable et le Club Abidjan. Nous les avons donc rencontrés pour les sensibiliser sur le développement. Nous avons également rencontré la Chambre de commerce et d’industrie (CCI-CI) avec laquelle nous avons signé une convention de partenariat pour pouvoir travailler sur l’information des structures rattachées à la Chambre de commerce et d’industrie. Nous avons aussi travaillé avec les Universités d’Abidjan, les grandes écoles de l’intérieur du pays, l’Université de Korhogo, l’Université de Man, les collectivités au niveau d’Abidjan. Lors de toutes les réunions que nous tenons, nous faisons venir les différentes collectivités, les maires, les directeurs des services techniques, pour faire le relais de l’économie circulaire sur le terrain. Plus d’une centaine de petites structures que nous avons rencontré sont affiliées à l’Institut de l’économie circulaire et chaque jour, nous recevons des demandes de petites et moyennes entreprises (PME), de startups et d’initiatives nombreuses qui existent aussi bien en Côte d’Ivoire que dans d’autres pays de la sous-région, en Europe et aux États-Unis.
AIP : A qui va servir le forum dont vous parliez tantôt ?
DG : Vraiment, c’est la plateforme où l’on doit tout trouver, et c’est dans ce but que nous organisons ce forum sur l’économie circulaire. Notre idée, à travers ce forum, est de montrer physiquement ce qui est pratiqué dans l’économie circulaire et c’est une occasion pour tous ceux qui souhaitent entrer dans ce secteur de venir voir les expériences concrètes. Parler, c’est bien, mais voir, c’est encore mieux. Il s’agira donc de voir de leurs propres yeux, ce qui est fait à partir de certains produits.
AIP : Le ministre-gouverneur du District autonome d’Abidjan, Robert Beugré Mambé, avait dit dans une de ses allocutions sur l’économie circulaire que les ordures sont de « l’or dur ». Est-ce justifié ?
DG : Nous avons tous les éléments pour vous dire que c’est de « l’or dur », l’on parle d’ordure, mais c’est de « l’or dur » parce que cela permet de créer des emplois, beaucoup d’emplois et de la richesse.
AIP : Quels sont les possibilités d’emplois ou de création de richesse qui pourraient exister avec la mise en place de l’économie circulaire ?
DG : Depuis trois ans, nous mettons en place des mécanismes pour avancer. Il fallait sensibiliser les uns et les autres. Avec l’économie circulaire, si on met en place tous les mécanismes qui la soutiennent en matière d’emploi, nous irons chercher des gens à l’extérieur pour leur dire : « Venez travailler en Côte d’Ivoire, car il y aura beaucoup d’emplois. »
Si vous prenez dix mille tonnes de déchets, que vous collectez pour les envoyer dans un centre d’enfouissement comme cela se fait aujourd’hui à Abidjan, cela nécessitera deux ou trois emplois au maximum. Mais quand vous commencez à mettre en place la valorisation, c’est 250 emplois que vous créez pour la même quantité de déchets. La Côte d’Ivoire produit environ quatre millions de tonnes de déchets par an. Sur la base de ces calculs, on peut connaître le nombre d’emplois que l’on peut créer. Cela concerne les ordures ménagères. Si vous prenez l’escargot, vous le carbonisez, vous produisez du charbon actif et vous pouvez produire aussi d’autres biens de consommation et donc à chaque étape, c’est des emplois que vous créez. Si nous prenons l’ensemble des déchets valorisables à Abidjan, nous estimons à 100 000 emplois pour Abidjan, avec seulement la valorisation des déchets. Si vous quittez le secteur des ordures ménagères et déchets et que vous prenez les déchets agricoles, aujourd’hui nous sommes premier producteur de l’anacarde. Quand on cueille l’anacarde, on enlève la graine et on jette le fruit. Or le fruit qu’on jette, qui constitue un problème pour les agriculteurs, peut être utilisé pour produire du vin, du vinaigre et de l’engrais. Nous avons beaucoup de résultats de recherche à l’Université d’Abidjan, d’Abobo, de Korhogo, de Man et de Daloa, mais beaucoup sont malheureusement dans les tiroirs. En matière d’emploi, nous sommes convaincus que selon les expériences faites ailleurs, nous allons créer des emplois, de la richesse et augmenter la productivité. Nous avons initié un projet appelé “Du déchet à la fourchette” avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation (FAO). Nous partons du déchet et voulons que les Ivoiriens et les Abidjanais mangent bien, mais des produits qui peuvent les nourrir et non les détruire.
AIP : Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet “Du déchet à la fourchette”
DG : Ce projet consiste à broyer les déchets et à les mélanger avec les larves d’une mouche spécifique appelée « mouche soldat noire ». Ces mouches pondent des œufs qui deviennent des larves ou des asticots, qui consomment les déchets. Un kilogramme de larves peut dégrader 40 à 50 tonnes de déchets organiques, et lorsque ces larves ont fini de consommer les déchets, leur poids avoisine 10 tonnes. Ces aliments servent à soutenir l’élevage de poulets, de porcs et de volaille, ainsi que la pisciculture. Ils remplacent tout ce qui est utilisé pour l’élevage et sont biologiques, sans produit chimique.
Les larves produisent également des déjections qui sont un fertilisant pour la culture maraîchère biologique. Les mouches ont une durée de vie de sept jours et pondent uniquement pendant cette période. A la fin, les mouches meurent et servent à produire d’autres produits tels que des produits pharmaceutiques et du papier ou du plastique à partir de leurs ailes. Notre objectif est de promouvoir la pisciculture et l’élevage en utilisant les « mouches soldats noires ».
AIP : Pourquoi la Côte d’Ivoire ne profite-t-elle pas encore des avantages liés à la mise en œuvre de l’économie circulaire ?
DG : La première difficulté est que cette approche est nouvelle. Nous cherchons à faire en sorte que tout le monde s’y retrouve. Si nous étions restés un service unique du District autonome d’Abidjan, nous n’aurions pas parlé de nos partenariats avec les Universités et les partenaires. Cette approche est donc une difficulté car les structures ont leur propre mécanisme de gestion. Quand on sort de ce mécanisme, il faut se confronter à cette nouvelle approche et au mécanisme ancien de fonctionnement. C’est la première difficulté, d’autant plus que nous travaillons pour appuyer les collectivités et tous ceux qui interviennent dans le secteur. Pour pouvoir appuyer, il faut des ressources financières données par les partenaires au développement qui veulent surveiller leur utilisation. Nous sommes donc en train de voir avec nos collectivités pour trouver des mécanismes qui pourraient permettre ce fonctionnement différent. L’autre élément est comment utiliser les compétences extérieures, car l’économie circulaire est nouvelle. Nous n’avons pas véritablement des gens formés dès le départ et donc là aussi, nous avons quelques difficultés actuellement d’utilisation des compétences extérieures.
AIP : Est-ce coûteux de faire venir des compétences extérieures ?
DG : Non, ce n’est pas une question de coût. Il faut mettre en place des ressources, mais si vous n’avez pas de ressource, vous ne pouvez pas réaliser une activité qui n’est pas budgétisée dans les collectivités. L’économie circulaire est nouvelle, mais nous avançons.
AIP : Donc, concrètement, vous n’avez pas de financement ?
DG : Je ne dirais pas que nous n’avons pas de financement, mais nous sommes riches en financement. Nous sommes en train de nous projeter pour l’année prochaine et les perspectives sont très bonnes. Ce qui est important, c’est que nous sommes approchés par les partenaires au développement. Nous avons donc passé deux ans à préparer notre approche et, comme je vous l’ai dit précédemment avec la Région de France, nous avons été approchés par l’Agence française de développement (AFD) pour élaborer des documents d’étude qui déboucheront sur des réalisations physiques. Dans ce premier document, il s’agit de voir un peu la méthode de gouvernance de l’Institut. C’est le premier institut que nous créons à Abidjan, c’est nouveau et nous avons besoin d’évoluer. Ensuite, nous passerons à des projets types pour former tous ceux qui souhaitent exercer dans ces différentes activités et voir ensuite un projet qui nous tient à cœur : comment introduire l’économie circulaire dans les circuits de formation des élèves, des lycéens et au niveau universitaire, quels sont les différents outils à mettre en place. Ce sont les projets que nous avons avec la Région de France et l’AFD.
(AIP)
apk/cmas
(Interview réalisée par Philomène Kouamé)