Abidjan, 21 mars 2023 (AIP) – Dans une interview accordée à l’AIP, le directeur de l’Institut national pour la promotion des aveugles de Yopougon (INIPA), Pokou Komenan dit Azoumanan, parle de l’éducation inclusive et surtout des besoins en matériel didactique spécialisé pour un meilleur encadrement des enfants non-voyants.
AIP : Pouvez-vous nous faire une présentation de votre Institut ?
Directeur : L’Institut est un centre qui s’occupe des non-voyants, jeunes et adultes, et c’est un établissement qui date de 1974. Dans un projet d’aide, la Caritas suisse, a bien voulu construire ce centre. Nous nous sommes rendu compte après un certain temps de fonctionnement, que les enfants qui nous parviennent n’ont aucun prérequis, à 10 ans, à 11 ans, ils n’ont aucun prérequis. Et nous-nous sommes dit, si les enfants voyants vont à la maternelle, pour commencer plus tôt et les préparer au CP1, pourquoi pas les enfants non-voyants.
Nous avons donc commencé par créer une classe d’éveil et ensuite, nous-nous sommes dit, il faut créer une maternelle pour que nos enfants aussi puissent aller à la maternelle. Et donc, c’est en 2015 à travers une demande d’aide, que l’agence de coopération Turque, a bien voulu nous aider pour la création de la maternelle.
AIP : Combien de classes avez-vous au niveau du préscolaire ?
Directeur : Nous avons à la maternelle, la petite section, la moyenne section et la grande section. L’enfant voyant est obligé de partir dans une autre école parce que la structure de l’institut ne permet pas pour l’instant de prendre les enfants voyant au CP1 et CP2.
Vous pouvez constater que dans nos salles de classe, il n’y a pas de tableau et le règlement intérieur ne prévoit pas pour l’instant les enfants voyants. Donc c’est une dynamique, nous espérons que les choses vont évoluer plus tard et qu’on pourra prendre en charge de façon totale, les enfants depuis la maternelle jusqu’ au collège.
Les classes de l’école maternel de l’INIPA,
AIP : Projet d’éducation inclusive tombe donc à pic ?
Directeur : Avec le projet d’éducation inclusive, où l’ONU et l’Unesco, tout le monde a demandé que désormais soit inclus, nos enfants, pas les intégrer mais, les inclure. Les intégrer c’est mettre les enfants dans une classe et ils se débrouillent, mais inclure, c’est les mettre dans la classe avec les autres avec des interactions avec les uns, les autres et les enseignants ensemble.
Donc, le projet d’éducation inclusive tombait à pic, puisque nous venions de créer une maternelle. Et on s’est dit, si dès, le bas âge, les enfants se connaissent déjà, ils vont se tolérer plus tard dans la société. Et nous avons ouvert notre maternelle aux voyants pour qu’ensemble, les voyants et les non-voyants puissent s’accommoder dès le bas âge.
L’institut est un établissement qui prend déjà la maternelle, l’école primaire, le collège même, cependant, nous ne disposons pas de collège à l’intérieur. Cela est fait sciemment, nos enfants à partir de la sixième vont dans les lycées et collèges et reviennent à l’internat pour que nous puissions les suivre techniquement parlant.
Nous avons aussi la formation professionnelle à l’Institut pour ceux qui ont perdu la vue, qui n’ont pas pu aller à l’école, ou qui étaient sur les bancs et malheureusement, ils ont perdu la vue. Nous les prenons pour une formation professionnelle, pour qu’au moins, en sortant d’ici, ils puissent faire quelque chose de leurs dix doigts et se prendre en charge. Notre objectif, c’est la recherche de l’autonomie de l’enfant.
AIP : Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans cette nouvelle approche inclusive ?
Directeur : Le problème que cela crée, c’est la pédagogie. Vous avez les enseignants, les encadreurs, vous avez le centre de santé. Nous fonctionnons en régime d’internat exclusivement, nous avons tous les éléments en place. Et maintenant ce qu’il faut, c’est le matériel pour les non-voyants.
Aussi bien, pour nos enfants à la maternelle, que pour nos enfants qui sont à l’institution. Parce que tout le matériel de l’INIPA, est du matériel spécialisé et, l’on n’en trouve pas sur le marché national. Donc il faut faire preuve d’imagination pour que les enfants non-voyants puissent être pris en compte.
Sinon le matériel, tout vient de la France et des pays développés. C’est pourquoi, nous demandons des moyens financiers et tout autre moyen pour nous aider pour avoir ce matériel pour les enfants qui ont des besoins spéciaux afin qu’on puisse les prendre en charge.
AIP : Vous avez dit que le matériel est coûteux. Est ce qu’il ne serait pas judicieux de créer une imprimerie braille ?
Directeur : Créer une imprimerie braille ? c’est dire que c’est créer une entreprise. Et une entreprise, elle cherche à faire du profit. Pour créer une entreprise braille, je ne sais pas combien de personnes vont acheter du matériel braille, ici en Côte d’Ivoire pendant un an. Il n’y a que l’institut des aveugles et notre effectif est autour de 150 à 153. Vous avez une petite école d’enfants aveugles à Toumodi et une autre à Anyama. Ce sont les trois écoles qui pourraient acheter du matériel, s’ils ont les moyens, donc votre entreprise ne marchera pas, vous ne pourrez pas faire du profit et ce que vous avez fabriqué, va rester dans votre main pendant des années.
Sinon, on pourrait faire un projet pour la création d’une imprimerie braille car cela a été le point de départ de l’institut, parce que en 1971, l’UNESCO avait décrété l’année internationale du livre. Il avait été demandé aux pays africains surtout, de faire en sorte que les non-voyants puissent avoir accès au livre, c’est-à-dire, qu’il faut fabriquer des livres comme construire des imprimeries brailles.
Cependant, feu le président Houphouët Boigny a dit, si je construis une imprimerie braille et produis des livres pour des gens qui ne savent pas lire ça ne sert à rien, donc le mieux, c’est de leur permettre de s’instruire d’abord et plus tard, voir s’il existe une possibilité pour l’imprimerie braille et c’est pour ça qu’on nous a donné quatre hectares pour le projet de l’institut des aveugles à Yopougon à la Caritas qui a construit ce centre. Jusqu’à présent nous avons encore un peu d’espace pour la construction, mais il faut que cela soit rentable.
AIP : Est-ce que l’Etat de Côte d’Ivoire vous aide et quelles sont les sources de financement de l’institut ?
Directeur : La première source de financement de l’institut, c’est l’Etat de Côte d’ivoire. Pour pouvoir avoir accès à l’INIPA, il faut passer par la procédure mise en place par l’Etat de côte d’ivoire et qui est gérée par le ministère d’emploi et de la protection sociale qui est notre tutelle.
C’est à partir de cette procédure que vous pourrez avoir accès au centre. Nous fonctionnons en régime d’internat exclusivement et l’inscription annuelle est de 5000 FCFA, c’est-à-dire que, c’est l’Etat qui prend tout en charge, puisque vous êtes à l’internat et votre inscription également est de 5000 francs.
Les parents eux-mêmes, au vu des difficultés de l’institut, se sont dit que nous allons aider l’administration et donc, suite à une réunion des parents d’élèves, ceux-ci ont décidé de payer 1000 FCFA par parent pendant 6 mois pour le transport des enfants, puisque nous avons un car de ramassage, ce qui fait 6000 FCFA de janvier à juin. Ensuite ils ont décidé de donner 1000FCFA par personne pour les détergents : savon et autres dans le cadre de l’hygiène donc cela fait 7000 Fcfa plus les 5000FCFA ça fait un total de 12000 FCFA par an.
Voilà la raison pour laquelle, les parents paient 12000 frs décidés par eux-mêmes, si non ce que l’Etat demande c’est 5000 FCFA par enfant par année. De plus, cette année des ONG se sont portées volontaires pour payer entièrement la scolarité de tous les enfants.
Nos sources de financement c’est d’abord l’Etat, ensuite les personnes physiques et des personnes morales qui viennent nous aider à gérer l’institution. Je vous ai dit que la maternelle a été créée par l’agence de coopération turque et que l’institut même a été créé par la Caritas Suisse ainsi de suite, voilà les trois types de financement que nous avons.
AIP : Est-ce que vous avez un appel à lancer aux autorités compétentes ?
Directeur : Alors si nous devrions lancer un appel, c’est aux parents d’abord, parce qu’en Afrique, nous avons de ces idées qui font que les enfants sont beaucoup stigmatisés. On affirme qu’ils sont des enfants qui sont issus de la malédiction. Il existe des forêts sacrées où l’on ne devait pas y aller et le parent y est allé. Il y a toujours eu une cause surnaturelle à la cécité alors qu’il n’en est rien.
Aujourd’hui, il a été démontré que ce sont des maladies qui guérissent, donc nous appelons les parents à bannir ces idées et à faire en sorte que tous nos enfants puissent aller à l’école.
Depuis que cette structure existe, nous avons aujourd’hui nos élèves non-voyants qui sont en doctorat, vous avez des gens qui sont dans l’administration publique, privée qui sont non-voyants et ces personnes travaillent comme toutes les autres.
Il faut faire en sorte que l’enfant puisse avoir accès aux informations, et je pense qu’ils font toujours des merveilles. Donc les parents, ne cachons pas les enfants, ne nous disons pas que les enfants sont incapables de faire telle ou telle chose. Il ne voit pas, il ne peut pas faire, faux ! il ne peut tout faire. Il faut l’envoyer à l’institut.
Nous remercions nos partenaires qui nous soutiennent car grâce à eux l’Etat peut réussir à atteindre ses objectifs.
(AIP)
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(Interview réalisée par Philomène Kouamé)